Page:Sand - Le Marquis de Villemer.djvu/29

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de moments à moi. Enfin la marquise, qui voulait, je crois, m’éprouver un peu, paraît comprendre que je lui suis dévouée très-sincèrement, et elle me permet de me retirer à minuit. Je pourrai donc causer avec toi sans me coucher à quatre heures du matin, car la marquise reçoit jusqu’à deux, et elle me gardait encore une heure après pour causer des personnes que nous venions de voir, ce qui, je te l’avoue, je le lui ai avoué à elle-même, commençait à me sembler très-fatigant. Elle croyait que, comme elle, je me levais tard. Quand elle a su qu’à six heures j’étais toujours éveillée sans qu’il me fût possible de me rendormir, elle a eu généreusement égard à cette infirmité de provinciale. Ainsi matin ou soir je serai à toi, chère Camille.

Oui, je l’aime, je l’aime beaucoup, cette vieille femme. Elle a un grand charme pour moi, et l’autorité qu’elle exerce sur mon esprit vient surtout de la franchise et de la netteté du sien. Elle a des préjugés certainement, et beaucoup d’idées qui ne sont pas, qui ne seront jamais les miennes ; mais elle n’y porte aucun détour hypocrite, et les antipathies qu’elle exprime n’ont rien d’effrayant, parce que, même dans ses préventions, on sent une parfaite loyauté.

Et d’ailleurs, depuis trois semaines que je vois le grand monde, car la marquise, sans donner de fêtes, reçoit tous les soirs bon nombre de visites, je m’aperçois d’un effacement général dont, au fond de ma province, je ne m’étais pas fait une idée aussi com-