Page:Sand - Le Marquis de Villemer.djvu/314

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exposer mes deux fils à s’égorger après s’être tant aimés. »

Caroline cependant écrivait à sa sœur :

« Tu t’effrayes de me savoir dans un pays si accidenté, et tu me demandes ce qu’il a d’assez beau pour que l’on risque de s’y tuer à chaque pas. D’abord il n’y a vraiment aucun danger pour moi sous la conduite de mon bon Peyraque. Les chemins, qui seraient vraiment horribles et je crois impossibles pour des voitures comme celles que nous connaissons, se trouvent justes assez larges pour les petits chars du pays. D’ailleurs Peyraque est très-prudent. Quand son œil ne lui dit pas bien au juste l’espace qu’il lui faut, il a pour s’en assurer un procédé qui m’a fait beaucoup rire la première fois que je le lui ai vu employer. Il me confie les rênes, met pied à terre, prend son fouet, sur le manche duquel la largeur exacte de sa voiture est marquée par une entaille, et, faisant quelques pas en avant, il va mesurer le passage entre le rocher et le précipice, quelquefois entre le précipice de droite et celui de gauche. Si le chemin a un centimètre de plus qu’il ne nous est nécessaire, il revient triomphant et nous passons à fond de train. Si nous n’avons pas ce centimètre pour prendre nos ébats, il me fait descendre, et passe la voiture en tenant la bête par la bride. Quand nous rencontrons deux petits murs d’enclos bordant un sentier de piétons, nous mettons une roue sur chaque mur et le cheval dans le sentier. Je t’assure qu’on s’habitue si bien à tout cela, que je n’y