Page:Sand - Le Marquis de Villemer.djvu/356

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œil presque humain, comme pour lui dire : J’ai fait plus que je ne pouvais, et je ne peux plus rien pour vous sauver.

— Il faudra donc périr ici ? dit Peyraque découragé, qui regardait tomber la neige en tourbillons inexorables. Le plateau était devenu un steppe de Sibérie au fond duquel le Mezec montrait seul sa tête livide à travers les rafales. Pas un arbre, pas un toit, pas un rocher pour s’abriter. Peyraque savait qu’il n’y avait rien à faire.

— Espérons ! dit-il, ce qui, dans le sens de cette locution toute méridionale, signifie, comme on sait, tout simplement : attendons !

Cependant il pensa bientôt à gagner un quart d’heure, fût-ce le dernier de la vie. Il prit une planchette de sa carriole et se battit contre les amas de neige qui, chassés par le vent, menaçaient d’ensevelir le cheval et la voiture. Pendant dix minutes, il travailla comme un athlète à ce déblaiement sans relâche, se disant que c’était peut-être bien inutile, mais qu’il se défendrait et défendrait Caroline jusqu’au dernier souffle.

Au bout de ces dix minutes, il remercia Dieu : la neige s’éclaircissait, le vent tombait ; le brouillard, bien moins dangereux, s’efforçait de reparaître. Il ralentit son travail sans l’abandonner. Enfin il vit comme une ligne blafarde se dégager dans les profondeurs du ciel ; c’était une promesse de beau temps.

Jusque-là il n’avait pas dit un mot, pas proféré un blasphème. Si Caroline eût dû périr là, elle ne s’en