Page:Sand - Le Marquis de Villemer.djvu/59

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— Eh bien ! oui, répondit le marquis, car aussi bien il vous faudrait apprendre d’un jour à l’autre que vous n’êtes pas libre d’en aliéner le capital.

Le duc, qui n’avait encore pris aucun parti, fit craquer ses mains en les pressant l’une contre l’autre et retomba dans son mutisme. Le marquis fit un effort pour vaincre sa réserve habituelle, s’assit près de Gaëtan, et, prenant ces mains crispées qui ne pouvaient se décider à se tendre vers lui : — Mon ami, lui dit-il, vous avez trop de hauteur avec moi. Est-ce que vous n’eussiez pas fait pour moi ce que je fais pour vous ?

Le duc sentit son orgueil se briser. Il fondit en larmes. — Non ! dit-il en serrant avec énergie les mains de son frère. Je n’aurais pas su, je n’aurais jamais pu le faire, puisque ma destinée est de nuire, et que je n’aurai jamais le bonheur de sauver personne, moi !

— Vous convenez au moins que c’est un bonheur, reprit Urbain. Considérez-moi donc comme votre obligé, et rendez-moi votre amitié, qui semble s’éteindre dans cette blessure.

— Urbain ! s’écria le duc, tu parles de mon amitié… Ce serait le moment de te remercier par des protestations, et je ne le fais pas ! Je ne tomberai jamais assez bas pour me réfugier dans l’hypocrisie. Sais-tu, mon frère, que je t’ai toujours fort mal aimé ?

— Je le sais, et je me l’explique par la différence de nos goûts, de notre organisation ; mais le moment n’est-il pas venu de s’aimer mieux ?