Page:Sand - Le Marquis de Villemer.djvu/62

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temps était magnifique, les fourrés se tapissaient de violettes, et mille folles mésanges babillaient autour des premiers bourgeons, tandis que les papillons citron des premiers beaux jours semblaient, par leur forme, leur couleur et leur vol indécis, des feuilles nouvelles balancées par le vent.

Le marquis était ordinairement censé manger chez lui. En réalité, il ne mangeait pas, dans l’acception gastronomique du mot. Il se faisait servir quelque mets fort simple qu’il avalait à la hâte, sans quitter des yeux le livre posé à côté de lui. Cette habitude de frugalité allait se concilier fort à propos avec la loi d’une stricte économie, car, pour que la table de sa mère continuât à être servie avec une certaine recherche, il ne fallait pas que la sienne se permît désormais le moindre superflu.

Non-seulement jaloux de cacher cette situation à son frère, mais craignant encore de l’attrister par l’austérité habituelle de son intérieur, il le mena dans un pavillon du Bois et commanda un repas confortable en se disant qu’il achèterait quelques livres de moins et fréquenterait au besoin les bibliothèques publiques, ni plus ni moins qu’un pauvre érudit. Le marquis ne se sentait nullement attristé ou effrayé d’une série de petits sacrifices. Il ne songeait même pas à sa délicate santé, qui réclamait un peu de bien-être dans la vie sédentaire. Il se sentait heureux d’avoir rompu la glace et de pouvoir espérer la confiance et l’affection de Gaëtan. Celui-ci, qui était toujours pâle et nerveu-