Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/110

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enfant qu’on ait jamais vu. À preuve que lorsqu’il fut devenu un des plus beaux cavaliers de la province, les dames de toute condition s’en aperçurent très-bien.

— Passons, passons, Janille, interrompit le châtelain avec un mélange de tristesse dans sa gaieté ; il n’y a pas grand-chose à dire là-dessus.

— Soyez tranquille, reprit la petite femme, je ne dirai rien qui ne soit très bon à dire. Monsieur fut élevé à la campagne dans ce vieux château, qui était grand et riche alors… et qui est encore très habitable aujourd’hui ! Jouant avec les marmots de son âge et avec son frère de lait le petit Jean Jappeloup, cela lui fit une santé excellente. Voyons, plaignez-vous de votre santé, monsieur, et dites-nous si vous connaissez un homme de cinquante ans plus alerte et mieux conservé que vous ?

— C’est fort bien ; mais tu ne dis pas qu’étant né dans un temps de trouble et de révolution, mon éducation première fut fort négligée.

— Pardine, monsieur, voudriez-vous pas être né vingt ans plus tôt, et avoir aujourd’hui soixante-dix ans ? Voilà une drôle d’idée ! Vous êtes né fort à point, puisque vous avez encore, Dieu merci, longtemps à vivre. Quant à l’éducation, rien n’y manqua : vous fûtes mis au collège à Bourges, et monsieur y travailla fort bien.

— Fort mal, au contraire. Je n’avais pas été habitué au travail de l’esprit ; je m’endormais durant les leçons. Je n’avais pas la mémoire exercée ; j’eus plus de peine à apprendre les éléments des choses qu’un autre à compléter de bonnes études.

— Eh bien donc, vous eûtes plus de mérite qu’un autre, puisque vous eûtes plus de souci. Et d’ailleurs vous en saviez bien assez pour être un gentilhomme. Vous n’étiez pas destiné à être curé ou maître d’école. Aviez-vous besoin de tant de grec et de latin ? Quand vous ve-