Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/139

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

n’avait pas contracté dans cette tombe une de ces lentes et profondes maladies dont on ne guérit point quand on en a cherché trop tard le remède ? »

Il se confirma dans cette idée, quand la porte s’ouvrit lentement et qu’il vit paraître devant lui le châtelain en personne. Sauf l’habit, c’était la statue du commandeur descendue de son piédestal : même démarche compassée, même pâleur, même absence de regard, même face solennelle et pétrifiée.

M. de Boisguilbault n’était guère âgé que de soixante-dix ans, mais il avait une de ces organisations qui n’ont plus d’âge et qui n’en ont jamais eu. Il n’avait pas été mal fait ni d’une laide figure ; ses traits étaient assez réguliers, sa taille était encore droite et son pas ferme, pourvu qu’il ne se pressât point. Mais la maigreur avait fait disparaître toute apparence de formes, et ses habits paraissaient couvrir un homme de bois. Sa figure n’était pas repoussante de dédain, et n’inspirait pas l’aversion ; mais comme elle n’exprimait absolument rien, qu’on eût vainement cherché au premier abord à y surprendre une pensée ou une émotion en rapport avec les types connus dans l’humanité, elle faisait peur, et Émile songea involontairement à ce conte allemand, où un personnage fort convenable se présente à la porte du château et s’excuse de ne pas pouvoir entrer dans l’état où il est, dans la crainte d’indisposer la compagnie. « Vous me paraissez pourtant mis fort décemment, lui dit le châtelain hospitalier. Entrez, je vous prie. — Non, non, reprend l’autre, cela m’est impossible, et vous m’en feriez des reproches. Veuillez m’entendre ici, sur le seuil de votre manoir ; je vous apporte des nouvelles de l’autre monde. — Qu’est-ce à dire ? Entrez, il pleut et l’orage va éclater. — Regardez-moi donc bien, reprend le mystérieux visiteur, et reconnaissez que je ne puis, sans manquer à toutes les lois de