Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/163

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rant, puisque je n’en aperçois pas la possibilité. Dites-le moi donc enfin, au lieu de me couvrir de sarcasmes glacés. Suis-je coupable de demander la lumière ? suis-je insolent et fou parce que je veux savoir les lois de ma conscience et le but de ma vie ? Oui, votre caractère est digne, et votre tenue sage et mesurée ; oui, votre cœur est bon et votre main libérale. Oui, vous secourez le pauvre et vous récompensez son labeur.

« Mais où allez-vous par ce chemin si droit et si sûr ? Je trouve que parfois vous manquez d’indulgence, et votre sévérité m’a effrayé souvent.

« Je me suis toujours dit que vous aviez la vue plus claire et l’esprit plus prévoyant que les natures tendres et timides, que le mal momentané que vous faisiez souffrir était en vue d’un bien durable et d’un talent assuré ; aussi, malgré mes répugnances pour les études que vous m’imposiez, malgré mes goûts sacrifiés à vos vues cachées, mes désirs souvent froissés et étouffés en naissant, je me suis imposé la loi de vous suivre et de vous obéir en tout.

« Mais le moment est venu où il faut que vous m’ouvriez les yeux, si vous voulez que je puisse accomplir cet effort surhumain ; car l’étude du droit ne satisfait pas ma conscience : je ne conçois pas que je puisse jamais m’engager dans les luttes de la procédure, encore moins que je m’astreigne comme vous à presser le travail des hommes à mon profit, si je ne vois clairement où je vais et quel sacrifice utile à l’humanité j’aurai accompli au prix de mon bonheur.

— Ton bonheur serait donc de ne rien faire et de vivre les bras croisés, à regarder les astres ? Il semble que tout travail t’irrite ou te fatigue, même le droit, que tous les jeunes gens apprennent en se jouant ?

— Mon père, vous savez bien le contraire ; vous m’avez