Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/190

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Ainsi, dit Émile qui pensait à la théorie de son père sur le travail incessant et la vieillesse sans repos, Jean n’éprouvera jamais le besoin d’être libre, quoiqu’il fasse tant de sacrifices à sa prétendue liberté.

— Mais, dit Gilberte un peu surprise, est-ce que la liberté et l’oisiveté sont la même chose ? Je ne crois pas. Jean aime passionnément le travail, et toute sa liberté consiste à choisir celui qui lui plaît ; quand il travaille pour satisfaire son goût et son invention naturelle, il ne le fait qu’avec plus d’ardeur.

— Oui, Mademoiselle, vous avez raison ! dit Émile avec une mélancolie soudaine, et tout est là. L’homme est né pour travailler toujours, mais conformément à ses aptitudes, et dans la mesure du plaisir qu’il y trouve ! Ah ! que ne suis-je un habile charpentier ! avec quelle joie n’irais-je pas travailler avec Jean Jappeloup, et au profit d’un homme si sage et si désintéressé !

— Eh bien, monsieur, dit Janille qui rentrait, portant avec prétention son amphore de grès sur la tête, pour se donner un air robuste, voilà que vous dites comme M. Antoine. Ne voulait-il pas, ce matin, partir pour Gargilesse avec Jean, afin de travailler avec lui à la journée, comme autrefois ? Pauvre cher homme ! son bon cœur l’emportait jusque-là.

« — Tu m’as fait gagner ma vie assez longtemps, disait-il ; je veux t’aider à gagner la tienne. Tu ne veux pas partager ma table et ma maison : reçois au moins le prix de mon travail, puisque ce sera du superflu pour moi. »

« Et M. Antoine le ferait comme il le dit. À son âge et avec son rang, il irait encore cogner comme un sourd sur ces grandes pièces de bois !

— Et pourquoi l’en as-tu empêché, mère Janille ? dit Gilberte avec émotion. Pourquoi Jean s’y est-il obstinément refusé ? Mon père ne s’en fût pas plus mal porté, et