Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/317

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« Mon garçon, lui dit-il, vous ne savez pas boire ; vous êtes laid quand vous riez, et vous êtes bête quand vous voulez faire de l’esprit. Si j’ai un conseil à donner à M. Antoine, c’est de vous faire déjeuner avec un verre d’eau quand vous viendrez chez lui, car autrement vous tiendriez devant sa fille des propos qui me forceraient à vous mettre dehors. Vous avez cru, en nous voyant ici tous gais et sans façon les uns envers les autres, que nous étions des gens grossiers et qu’il fallait le devenir pour se mettre à notre niveau. Vous vous êtes trompé. Quiconque n’a rien de mauvais dans le cœur ni de malpropre dans l’esprit, peut se laisser aller ; et quand même je serais ivre à ne point me tenir debout, je ne craindrais pas qu’on me fît rougir le lendemain avec mes paroles. Il paraît qu’il n’en est pas de même pour vous ; c’est pourquoi vous faites bien de vous habiller de noir des pieds à la tête pour faire croire à ceux qui ne vous connaissent pas que vous êtes un monsieur : car s’il y a un paysan ici, ce n’est pas moi, c’est vous. »

Antoine tâcha d’adoucir la mercuriale, et Galuchet tâcha de se fâcher. Jean haussa les épaules et quitta la table pour n’avoir pas à lui donner une leçon mieux appropriée à l’état de son intelligence.

Lorsqu’ils sortirent du pavillon, Galuchet marchait encore droit ; mais il avait la tête si lourde et si échauffée, qu’il n’osait plus prononcer un mot devant Gilberte, de peur de dire une chose pour l’autre.

« Eh bien, dit Gilberte à Jappeloup, allons-nous à la Pierre au Diable ? Il y a plus d’un an que je n’y ai été : Janille ne veut pas que mon père m’y conduise, parce qu’elle dit que c’est trop dangereux et qu’il ne faut pas là de distraction ; mais elle m’y laissera aller avec toi, mon bon Jean ! Voyons, te sens-tu encore la main assez ferme et l’œil assez sûr ?