Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/49

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puis venant à lui d’un air impassible, il lui monta sur la poitrine sans répondre un seul mot à ses plaintes, et sans témoigner par aucune expression de son visage de pierre qu’il fût sensible à l’agonie qu’il lui faisait endurer.

Accablé sous ce poids formidable, le dormeur s’agita en vain pendant un espace de temps qui lui parut un siècle, et il était saisi du râle de l’agonie lorsqu’il parvint à se réveiller. Mais, bien que le jour commençât à poindre, et qu’il vît distinctement l’intérieur de la tour, il demeura tellement sous l’impression de son rêve qu’il croyait encore voir la figure inflexible devant ses yeux, et sentir le poids d’un corps lourd comme une montagne d’airain sur la poitrine défaillante et brisée. Il se leva et fit plusieurs fois le tour de sa chambre avant de se remettre au lit : car, malgré son dessein de partir de bonne heure, il éprouvait un accablement invincible. Mais à peine ses yeux se furent-ils refermés que le spectre reprit sa résolution de l’étouffer, jusqu’à ce que, se sentant près d’expirer, le jeune homme s’écria d’une voix entrecoupée : Mon père ! ô mon père ! que vous ai-je donc fait, et pourquoi avez-vous résolu d’être le meurtrier de votre fils ?

Le son de sa propre voix le réveilla, et, se voyant de nouveau poursuivi par l’apparition, il courut ouvrir sa fenêtre. Dès que la fraîcheur de l’air pénétra dans cette pièce basse, dont l’atmosphère avait quelque chose de léthargique, l’hallucination se dissipa, et il s’habilla en toute hâte, afin de fuir un lieu où il venait d’être le jouet d’une si cruelle fantaisie. Mais malgré les efforts qu’il fit pour s’en distraire, il resta sous le poids d’une sorte d’anxiété douloureuse, et la chambre d’amis de Châteaubrun lui parut plus sépulcrale que la veille. Le jour gris et sombre qui se levait lui permit enfin de voir par sa fenêtre l’ensemble du château.

Ce n’était littéralement qu’un amas de ruines, vestiges