Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/6

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nos amis criait facétieusement aux pasteurs à demi sauvages de ces solitudes Avez-vous lu l’Époque ? Avez-vous lu le Péché de monsieur Antoine ? Et, en les voyant fuir épouvantés de ces incompréhensibles paroles, il nous disait en riant : « Comme on voit bien que les romans socialistes montent la tête aux habitants des campagnes !… »

Une vieille femme, assez belle diseuse, vint à Châteaubrun me faire une scène de reproches, parce que j’avais fait sur elle et sur son maître un livre plein de menteries. Elle croyait que j’avais voulu mettre en scène le propriétaire du château et elle-même. Elle avait entendu parler du livre. On lui avait dit qu’il n’y avait pas un mot de vrai. Il fut impossible de lui faire comprendre ce que c’est qu’un roman, et cependant elle en faisait aussi, car elle nous raconta l’assassinat de Louis XVI et de Marie-Antoinette poignardés dans leur carrosse par la populace de Paris. Ceux qui accusent les écrits socialistes d’incendier les esprits, devraient se rappeler qu’ils ont oublié d’apprendre à lire aux paysans.

Renierai-je, maintenant que les masses s’agitent, le communisme de M. de Boisguilbault, personnage très-excentrique, et cependant pas tout à fait imaginaire, de mon roman ? Dieu m’en garde, surtout après que, sur tous les tons, on a accusé les socialistes de prêcher le partage des propriétés.

L’idée diamétralement contraire, celle de communauté par association, devrait être la moins dangereuse de toutes aux yeux des conservateurs, puisque c’est malheureusement la moins comprise et la moins admise par les masses. Elle est surtout antipathique dans la campagne et n’y sera réalisable que par l’initiative d’un gouvernement fort, ou par une rénovation philosophique, religieuse et chrétienne, ouvrage des siècles peut-être !