Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/63

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Émile s’avisa rapidement de ce qui allait arriver. M. Cardonnet ne connaissait pas son cheval, à la vérité, puisqu’il l’avait acheté en route ; mais on ouvrirait la valise, on ne tarderait pas à reconnaître qu’elle lui appartenait, et la première pensée serait qu’il avait péri. Il se décida bien vite à se faire voir, et, après beaucoup d’efforts pour élever sa voix au-dessus de celle du torrent, qui n’était guère apaisée, il réussit à faire savoir aux personnes réfugiées sur le toit de l’usine qu’il était là, et qu’il était urgent d’en informer M. et madame Cardonnet. La nouvelle passa de bouche en bouche par les divers points de refuge aussi vite qu’il put le désirer, et bientôt il vit sa mère à la fenêtre, agitant son mouchoir, et son père monté en personne sur un radeau avec deux hommes vigoureux qui se hasardaient vers le courant avec résolution. Émile réussit à les en détourner, leur criant, non sans beaucoup de paroles perdues et maintes fois répétées, qu’il était en sûreté, qu’il fallait attendre encore pour venir à lui, et que le plus pressé était de délivrer les ouvriers prisonniers dans l’usine. Tout se fit comme il le souhaitait, et quand il n’y eut plus à trembler pour personne, il descendit de l’arbre, se mit à l’eau jusqu’à la ceinture, et s’avança à la rencontre du radeau, soulevant dans ses bras le petit Charasson et l’aidant à ne pas perdre pied. Trois heures après le passage de la trombe, Émile et son guide étaient auprès d’un bon feu, madame Cardonnet couvrait son fils de caresses et de larmes, et le page de Châteaubrun, choyé comme lui-même, racontait avec emphase le péril qu’ils avaient surmonté.

Émile adorait sa mère. C’était encore la plus ardente affection de sa vie. Il ne l’avait pas vue depuis l’époque des vacances, qu’ils avaient passées ensemble à Paris, loin de la contrainte assidue et sèchement réprimandeuse