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DE M. ANTOINE.

nuit et la crainte de rencontrer quelqu’un du château qui pût la connaître, augmentant son inquiétude et son impatience, elle se hasarda à sortir du lieu où elle se tenait cachée et à descendre un peu le cours de la rivière, afin de se trouver encore à portée de voir venir le charpentier. Mais elle n’eut pas fait trois pas à découvert qu’elle entendit marcher derrière elle, et se tournant avec précipitation, elle vit Constant Galuchet, armé de sa ligne, qui regagnait le chemin de Gargilesse.

Elle rabattit son capuchon sur son visage, mais pas assez vite pour que le pêcheur de goujons n’eût aperçu une mèche de cheveux blonds, un œil bleu, une joue rose. D’ailleurs, à être suivie d’aussi près, il était difficile que Gilberte pût faire illusion. Elle n’avait rien de la démarche d’une paysanne, et la mante de bure n’était pas assez longue pour cacher le bord d’une robe légère et un pied charmant, chaussé d’une petite guêtre solide et bien prise. La curiosité de Constant Galuchet fut vivement éveillée par cette rencontre. Il méprisait trop les paysannes pour leur conter fleurettes dans ses promenades ; mais la vue d’une demoiselle déguisée piqua sa curiosité aristocratique, et un vague instinct que ces cheveux blonds si difficiles à cacher étaient ceux de Gilberte, lui persuada de la suivre et de l’inquiéter.

Il s’acharna donc sur ses traces, marchant tantôt immédiatement derrière elle, tantôt à ses côtés, ralentissant ou doublant le pas pour déjouer les petites ruses dont elle usa pour rester en arrière ou se faire dépasser, s’arrêtant lorsqu’elle s’arrêtait, se penchant vers elle en l’effleurant, et plongeant un œil insolent et curieux sous son capuchon.

Gilberte, effrayée, chercha des yeux quelque maison où elle pût se réfugier ; n’en voyant aucune, elle continua à s’avancer dans la direction de Gargilesse, espérant