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LE PÉCHÉ

Grande fut la surprise des habitants de l’endroit lorsqu’ils virent arriver dans leurs murs le marquis, droit et raide sur son cheval blanc, comme un professeur d’équitation du vieux temps, en tenue de cérémonie, avec des lunettes d’or, et une cravache à tête d’or, qu’il portait un peu comme un cierge. Il y avait au moins dix ans que M. de Boisguilbault n’était entré dans une ville ou dans un village. Les enfants le suivaient, éblouis de la magnificence de sa désinvolture, les femmes se pressaient sur le pas de leurs portes, et les hommes portant des fardeaux s’arrêtaient ébahis en travers de la rue.

Il gravit lentement le pavé en précipice, et descendit de même à côté de l’usine de Cardonnet, trop bon cavalier pour s’amuser à des imprudences, et, reprenant le trot à la française pour entrer dans les cours, il cadença si bien l’allure de son cheval, qu’on eût dit d’une pendule parfaitement réglée. Certes il avait encore bon air, et les femmes disaient : « Vous voyez bien qu’il est sorcier, car il n’a pas pris un jour depuis dix ans qu’on ne l’a vu ici ! »

Il demanda à être conduit auprès de M. Émile Cardonnet, et trouva le jeune homme dans sa chambre, assis sur un sofa, ayant son père à sa droite et son médecin à sa gauche. Madame

Cardonnet était assise vis-à-vis de lui, et l’examinait avec sollicitude.

Émile était fort pâle, mais sa situation n’avait plus rien d’inquiétant. Il se leva et vint à la rencontre de M. de Boisguilbault, qui, après l’avoir embrassé avec tendresse, salua profondément madame Cardonnet, et M. Cardonnet avec plus de modération. Pendant quelques instants, il ne fut question que de la santé du malade. Il avait eu un accès de fièvre assez violent, on l’avait saigné la veille ; la nuit avait été bonne, et, depuis le matin, la fièvre avait cessé entièrement. On l’engageait à faire une