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LE PÉCHÉ

— Non, monsieur, non, permettez-moi d’insister. Ce que j’ai à dire est de quelque importance, et toutes les personnes qui sont ici doivent l’entendre. Je crois voir que je ne suis pas arrivé assez tôt pour prévenir des explications désagréables : mais vous êtes un homme d’affaires, monsieur Cardonnet, et vous savez qu’on s’assemble en conseil dans les affaires sérieuses, pour discuter froidement de graves intérêts, lors même qu’on y apporte au fond de l’âme un peu de passion. Monsieur le comte de Châteaubrun, je vous prie de retenir M. Cardonnet, cela est tout à fait nécessaire. Je suis vieux, souffrant, je n’aurai peut-être plus la force de revenir, et de faire d’aussi longues courses. Vous êtes des jeunes gens auprès de moi ; je vous demande donc d’avoir un peu de calme et d’obligeance pour m’épargner beaucoup de fatigue ; me refuserez-vous ? »

Le marquis parlait cette fois avec une aisance et une grâce qui en faisaient un tout autre homme que celui que M. Cardonnet venait de voir une heure auparavant. Il se sentit pris d’une curiosité qui n’était pas sans mélange d’intérêt et de considération. M. de Châteaubrun se hâta de le retenir, et ils rentrèrent dans le pavillon, à l’exception de Janille, à laquelle M. Antoine fit un signe, et qui alla se mettre derrière la porte de la cuisine pour écouter.

Gilberte était incertaine si elle devait rentrer ou sortir ; mais M. de Boisguilbault lui offrit la main avec beaucoup de courtoisie, et, l’amenant à un siège, il s’assit auprès d’elle, à une certaine distance de son père et de celui d’Émile.

« Pour procéder avec ordre, et selon le respect qu’on doit aux dames, dit-il, je m’adresserai d’abord à mademoiselle de Châteaubrun. Mademoiselle, j’ai fait mon testament la nuit dernière, et je viens vous en faire connaître les articles et conditions ; mais je voudrais bien,