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biter Saint-Front, où elle réussit à vivre quatre ans en qualité de sous-maîtresse dans un pensionnat de jeunes filles, et où elle contracta une étroite amitié avec l’aînée de ses élèves, Pauline, âgée de quinze ans comme elle.

Et puis il arriva que Laurence dut à la protection de je ne sais quelle douairière d’être rappelée à Paris, pour y faire l’éducation des filles d’un banquier.

Si vous voulez savoir comment une jeune fille pressent et découvre sa vocation, comment elle l’accomplit en dépit de toutes les remontrances et de tous les obstacles, relisez les charmants Mémoires de mademoiselle Hippolyte Clairon, célèbre comédienne du siècle dernier.

Laurence fit comme tous ces artistes prédestinés : elle passa par toutes les misères, par toutes les souffrances du talent ignoré ou méconnu ; enfin, après avoir traversé les vicissitudes de la vie pénible que l’artiste est forcé de créer lui-même, elle devint une belle et intelligente actrice. Succès, richesse, hommages, renommée, tout lui vint ensemble et tout à coup. Désormais elle jouissait d’une position brillante et d’une considération justifiée aux yeux des gens d’esprit par un noble talent et un caractère élevé. Ses erreurs, ses passions, ses douleurs de femme, ses déceptions et ses repentirs, elle ne les raconta point à Pauline. Il était encore trop tôt : Pauline n’eût pas compris.


II.


Cependant, lorsqu’au coup de midi l’aveugle s’éveilla, Pauline savait toute la vie de Laurence, même ce qui ne lui avait pas été raconté, et cela plus que tout le reste peut-être ; car les personnes qui ont vécu dans le calme et la retraite ont un merveilleux instinct pour se représenter la vie d’autrui pleine d’orages et de désastres