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LE PÉCHÉ

bonne fille qui est fort pauvre, et que, s’éprenant à la première vue, il vienne mettre à ses pieds les plus honnêtes prétentions du monde, faut-il le chasser brutalement, et lui jeter la porte au nez en lui disant : « Non, Monsieur, vous êtes trop laid ? »

Gilberte rougit autant qu’Émile, et quelque effort d’humilité qu’elle pût faire sur elle-même, elle se sentit si outragée par les prétentions de Galuchet, qu’elle ne put rien répondre, et sentit ses yeux se remplir de larmes.

« Ce misérable a indignement menti, s’écria Émile, et vous pouvez le chasser honteusement. Il n’a aucune fortune, et mon père l’a tiré de la dernière détresse. Or, il n’y a que trois ans qu’il l’emploie, et à moins que M. Galuchet n’ait fait tout à coup un héritage mystérieux…

— Non, Émile, non, il ne m’a pas fait de mensonge ; je ne suis pas si faible et si crédule que vous croyez. Je l’ai interrogé, et je sais que la source de sa petite fortune est pure et certaine. C’est votre père qui lui assure vingt mille francs pour se l’attacher à tout jamais par l’affection et la reconnaissance, au cas où il se mariera dans le pays.

— Mais, sans doute, dit Émile d’une voix mal assurée, mon père ignore que c’est sur mademoiselle de Châteaubrun qu’il a osé lever les yeux, car il ne l’eût pas encouragé dans une semblable espérance.

— Tout au contraire, reprit M. Antoine, qui trouvait la chose fort naturelle ; votre père a reçu la confidence de son goût pour Gilberte, et il l’a autorisé à se servir de son nom pour la demander en mariage. »

Gilberte devint pâle comme la mort et regarda Émile, qui baissa les yeux, stupéfait, humilié et brisé au fond de l’âme.