Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 2.djvu/204

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

qu’elle dormît dans son propre lit. Elle s’était fait arranger un grand canapé où elle se coucha non loin d’elle, afin de pouvoir causer le plus longtemps possible. Chaque moment augmentait l’inquiétude de la jeune recluse, et son désir de comprendre la vie, les jouissances de l’art et celles de la gloire, celles de l’activité et celles de l’indépendance. Laurence éludait ses questions. Il lui semblait imprudent de la part de Pauline de vouloir connaître les avantages d’une position si différente de la sienne ; il lui eût semblé peu délicat à elle-même de lui en faire un tableau séduisant. Elle s’efforça de répondre à ses questions par d’autres questions ; elle voulut lui faire dire les joies intimes de sa vie évangélique, et tourner toute l’exaltation de leur entretien vers cette poésie du devoir qui lui semblait devoir être le partage d’une âme pieuse et résignée. Mais Pauline ne répondit que par des réticences. Dans leur premier entretien de la matinée, elle avait épuisé tout ce que sa vertu avait d’orgueil et de finesse pour dissimuler sa souffrance. Le soir, elle ne songeait déjà plus à son rôle. La soif qu’elle éprouvait de vivre et de s’épanouir, comme une fleur longtemps privée d’air et de soleil, devenait de plus en plus ardente. Elle l’emporta, et força Laurence à s’abandonner au plaisir le plus grand qu’elle connût, celui d’épancher son âme avec confiance et naïveté. Laurence aimait son art, non-seulement pour lui-même, mais aussi en raison de la liberté et de l’élévation d’esprit et d’habitudes qu’il lui avait procurées. Elle s’honorait de nobles amitiés ; elle avait connu aussi des affections passionnées, et, quoiqu’elle eût la délicatesse de n’en point parler à Pauline, la présence de ces souvenirs encore palpitants donnait à son éloquence naturelle une énergie pleine de charme et d’entraînement.

Pauline dévorait ses paroles. Elles tombaient dans son cœur et dans son cerveau comme une pluie de feu ; pâle,