Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 2.djvu/218

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politique et la philosophie sociale. Ces causeries, pleines de charme et d’intérêt entre des personnes distinguées, pouvaient rappeler, pour le bon goût, l’esprit et la politesse, celles qu’on avait, au siècle dernier, chez mademoiselle Verrière, dans le pavillon qui fait le coin de la rue Caumartin et du boulevard. Mais elles avaient plus d’animation véritable ; car l’esprit de notre époque est plus profond, et d’assez graves questions peuvent être agitées, même entre les deux sexes, sans ridicule et sans pédantisme. Le véritable esprit des femmes pourra encore consister pendant longtemps à savoir interroger et écouter ; mais il leur est déjà permis de comprendre ce qu’elles écoutent et de vouloir une réponse sérieuse à ce qu’elles demandent.

Le hasard fit que durant toute cette fin d’automne la société intime de Laurence ne se composa que de femmes ou d’hommes d’un certain âge, étrangers à toute prétention. Disons, en passant, que ce ne fut pas seulement le hasard qui fit ce choix, mais le goût que Laurence éprouvait et manifestait de plus en plus pour les choses et partant pour les personnes sérieuses. Autour d’une femme remarquable, tout tend à s’harmoniser et à prendre la teinte de ses pensées et de ses sentiments. Pauline n’eut donc pas l’occasion de voir une seule personne qui pût déranger le calme de son esprit ; et ce qui fut étrange, même à ses propres yeux, c’est qu’elle commençait déjà à trouver cette vie monotone, cette société un peu pâle, et à se demander si le rêve qu’elle avait fait du tourbillon de Laurence devait n’avoir pas une plus saisissante réalisation. Elle s’étonna de retomber dans l’affaissement qu’elle avait si longtemps combattu dans la solitude ; et, pour justifier vis-à-vis d’elle-même cette singulière inquiétude, elle se persuada qu’elle avait pris dans sa retraite une tendance au spleen que rien ne pourrait guérir.