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DE M. ANTOINE

nités pareilles, vous m’ôterez tout le bonheur dont je jouis auprès de vous et vous me ferez une triste jeunesse ! mais ce sera me rendre malheureuse en pure perte, car je ne changerai pas de résolution, et je mourrai plutôt que de me séparer de vous.

— Et qui te parle de nous séparer ? dit Janille. L’homme qui t’aimera ne voudra pas te faire de peine ; et toi, d’ailleurs, tu ne sais pas ce que tu penseras quand tu aimeras quelqu’un. Ah ! ma pauvre enfant ! ce sera peut-être alors notre tour de pleurer, car il est écrit que la femme quittera son père et sa mère pour suivre son mari, et celui qui a dit cela connaissait le cœur des femmes.

— Oh ! s’écria Émile, c’est là une loi d’obéissance, et non une loi d’amour. L’homme qui aimera véritablement Gilberte aimera ses parents et ses amis comme les siens propres, et ne voudra pas plus l’en séparer qu’il ne voudra s’en éloigner lui-même. »

Ici Janille rencontra les regards passionnés des deux amants qui se cherchaient, et toute sa prudence lui revint.

« Pardine, Monsieur ! dit-elle d’un ton un peu sec, vous vous mêlez de choses qui ne vous regardent guère, et m’est avis que toutes mes explications sont bien déplacées devant vous ; mais puisque vous vous êtes obstiné à les entendre, et que M. Antoine trouve cela fort sage, je vous dirai, moi, que je vous défends de répéter, et surtout de croire ce que ma fille vient de dire dans un beau mouvement de dépit contre votre Galuchet. Car enfin tous les hommes ne sont pas taillés, Dieu merci, sur ce patron-là, et nous n’avons pas besoin que le monde la condamne à rester fille, parce qu’elle veut un mari plus agréable. Nous le lui trouverons fort bien, soyez tranquille ; et ne vous imaginez pas que, parce qu’elle n’est pas riche comme vous, elle séchera sur pied.