Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 2.djvu/271

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faits dans la ville. Nous aimions surtout à l’entendre parler de Venise. Il l’avait vue en artiste, avait déploré intérieurement sa servitude, et était arrivé à l’aimer autant qu’un Vénitien. Il ne se lassait pas de la parcourir nuit et jour, ne se lassant pas de l’admirer. Il voulait, disait-il, la connaître mieux que ceux qui avaient le bonheur d’y être nés. Dans ses promenades nocturnes il rencontra le masque. Il n’y fit pas d’abord grande attention ; mais ayant bientôt remarqué qu’il paraissait étudier la ville avec la même curiosité et le même soin que lui-même, il fut frappé de cette étrange coïncidence, et en parla à plusieurs personnes. On lui conta tout d’abord les histoires qui couraient sur la femme voilée, et on lui conseilla de prendre garde à lui. Mais comme il était brave jusqu’à la témérité, ces avertissements, au lieu de l’effrayer, excitèrent sa curiosité et lui inspirèrent une folle envie de faire connaissance avec le personnage mystérieux qui épouvantait si fort le vulgaire. Voulant garder vis-à-vis du masque le même incognito que celui-ci gardait vis-à-vis de lui, il s’habilla en bourgeois, et commença ses promenades nocturnes. Il ne tarda pas à rencontrer ce qu’il cherchait. Il vit, par un beau clair de lune, la femme masquée, debout devant la charmante église de Saints-Jean-et-Paul. Elle semblait contempler avec adoration les ornements délicats qui en décorent le portail. Le comte s’approcha d’elle à pas lents et silencieux. Elle ne parut pas s’en apercevoir et ne bougea pas. Le comte, qui s’était arrêté un instant pour voir s’il était découvert, reprit sa marche et arriva tout près d’elle. Il l’entendit pousser un profond soupir ; et comme il savait fort mal le vénitien, mais fort bien l’italien, il lui adressa la parole dans un toscan très-pur.

« Salut, dit-il, salut et bonheur à ceux qui aiment Venise. »