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DE M. ANTOINE

rencontré, et lui faire part du contenu de la présente.

« Agréez les sentiments de haute estime et de sympathie toute paternelle avec lesquels je remets entre vos mains la cause de mon fils et la mienne.

« VICTOR CARDONNET. »

Tandis qu’un domestique galonné d’or et monté sur un beau cheval de main portait cette lettre à Châteaubrun, Émile, accablé de soucis, se dirigeait à pied vers le parc de Boisguilbault.

« Eh bien, dit le marquis en lui serrant la main avec force, je ne vous attendais plus que dimanche prochain ; je pensais que vous m’aviez oublié hier, et voici une douce surprise ! Je vous en remercie, Émile. Le temps est bien long, depuis que vous travaillez si assidûment pour votre père. Je ne puis qu’approuver cette soumission, bien que je me demande avec un peu d’effroi si elle ne vous mènera pas avec lui et ses principes plus loin que vous ne croyez… Mais qu’avez-vous, Émile, vous êtes pâle, oppressé ? Seriez-vous tombé de cheval ?

— Je suis venu à pied ; mais je suis tombé de plus haut, répondit Émile, et je crois que je viens mourir ici. Écoutez-moi, mon ami ; je viens vous demander la force du trépas ou le secret de la vie. Un bonheur insensé, un malheur épouvantable, sont aux prises dans mon pauvre cœur, dans ma tête brisée. Je porte en moi, depuis que je vous connais, un secret que je n’osais pas, que je ne pouvais pas vous dire, mais que je ne puis contenir aujourd’hui. J’ignore si vous le comprendrez ; j’ignore s’il y a en vous un point sympathique avec ma souffrance ; mais je sais que vous m’aimez, que vous êtes sage, éclairé, que vous adorez la justice. Il est impossible que vous ne me donniez pas un conseil salutaire. »

Et le jeune homme confia au vieillard toute son histoire,