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DE M. ANTOINE

cinq, et même que j’en fasse serment devant lui. J’y consens, vois-tu ! Que m’importe de flatter sa folie, pourvu que j’épouse Gilberte !

— Je n’aime pas tous ces discours-là, Émile, dit le charpentier, je n’y comprends rien et ça m’impatiente. Si vous êtes fou, je ne veux pas que Gilberte vous épouse. Tâchons de reprendre un peu nos esprits et arrêtons-nous là. Je n’ai pas envie de vous conduire à Châteaubrun, si vous voulez déraisonner de la sorte, mon fils !

— Jean, je me sens très malade, dit Émile en s’asseyant de nouveau ; j’ai le vertige. Tâche de me comprendre, de me calmer, de m’aider à me comprendre moi-même. Tu sais que je ne pense pas comme mon père ; eh bien ! mon père veut que je pense comme lui, voilà tout ! Cela ne se peut pas ; mais pourvu que je dise comme lui, qu’importe !

— Mais dire quoi ? au nom du diable ! s’écria Jean, qui avait, comme on sait, fort peu de patience.

— Oh ! mille folies, répondit Émile, qui sentait un frisson glacé succéder par intervalles à une chaleur brûlante ; par exemple, que c’est un grand bonheur pour les pauvres qu’il y ait des riches.

— C’est faux ! dit Jean, haussant les épaules.

— Que plus il y aura de riches et de pauvres, mieux ira le monde.

— Je le nie.

— Que c’est une guerre que Dieu commande, et que les riches doivent marcher à cette guerre avec transport.

— Dieu le défend, au contraire !

— Enfin, qu’il faut que les gens d’esprit soient plus heureux que les pauvres d’esprit, parce que c’est l’ordre de la Providence !

— Il en a menti, mille tonnerres ! s’écria Jean en