Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 2.djvu/68

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
65
DE M. ANTOINE

Foin du mensonge et des paroles de mauvaise foi ! Pas de ça, Émile, je vous le défends.

— Mais Gilberte !

— Mais Gilberte dira comme moi, et Antoine aussi, et Janille… Ma mie Janille dira ce qu’elle voudra… Moi, je ne veux pas que tu mentes ! Il n’y a pas de Gilberte qui pût me faire mentir.

— Il faut donc que je renonce à elle, que je ne la voie plus ?

— Ça c’est un malheur, dit Jean d’un ton ferme ; mais quand le malheur est sur nous, il faut savoir le supporter. Allez trouver M. de Boisguilbault, il vous dira comme moi ; car, d’après tout ce que vous m’avez raconté de lui, c’est un homme qui voit juste et qui pense bien.

— Eh bien, Jean, j’ai vu M. de Boisguilbault, et il comprend que ce sacrifice est au-dessus de mes forces.

— Il sait que vous aimez Gilberte ? Oui-dà ? vous le lui avez dit ?

— Il sait que j’aime, mais je ne la lui ai pas nommée.

— Et il vous conseille de mentir ?

— Il ne me conseille rien.

— Il a donc perdu la tête, lui aussi ? Allons,

Émile ! vous m’écouterez, moi, parce que j’ai raison. Je ne suis ni riche, ni savant ; je ne sais pas si ça m’ôte le droit de manger mon soûl et de dormir dans un lit, mais je sais bien que quand je prie le bon Dieu, il ne m’a jamais dit : « Va te promener ; » et que quand je lui demande ce qui est vrai ou faux, mal ou bien, il me l’a toujours enseigné, sans me répondre : « Va à l’école. » Voyons, réfléchissez un peu. Nous voilà sur la terre beaucoup de pauvres, et un petit tas de riches ; car si tout le monde avait de grosses parts, la terre serait trop petite. Nous nous gênons fort les uns les autres, et nous avons beau faire, nous ne pouvons pas nous aimer : à preuve, qu’il