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DE M. ANTOINE

— C’est que je vas droit au fait, moi, et ne m’embarrasse pas des choses inutiles.

— Tu iras donc demain à Châteaubrun ? dès demain ? quoique ce soit un jour de travail ?

— Oh ! demain : comme je travaille gratis, je peux commencer ma journée à l’heure qu’il me plaira. Savez-vous pour qui je travaille demain, Émile ? Voyons, devinez : ça vous fera faire un effort pour sortir de vos soucis.

— Je ne devine pas. Pour M. Antoine ?

— Non, Antoine n’a guère de travaux à faire faire, le pauvre compère, et il y suffit tout seul ; mais il a un voisin qui n’en manque pas, et qui ne compte guère ses journées d’ouvrier.

— Qui donc ? M. de Boisguilbault s’est-il réconcilié avec ta figure ?

— Non pas que je sache ; mais il n’a jamais défendu à ses métayers de me donner de l’ouvrage. Il n’est pas homme à vouloir me faire du tort, et il n’y a guère que les gens de sa maison qui sachent qu’il m’en veut, si toutefois il m’en veut ; le diable seul comprend ce qu’il y a là-dessous ! Enfin, je vous dis que je travaille pour lui sans qu’il s’en aperçoive ; car vous savez qu’il va visiter ses propriétés tout au plus une fois l’an. C’est un peu loin de chez nous ; mais grâce à votre père, les ouvriers sont si rares, qu’on est venu me demander ; et je ne me suis pas fait prier, quoique j’eusse ailleurs une besogne qui pressait. Ça me fait plaisir, à moi, de travailler pour ce vieux-là ! Mais, comme bien vous pensez, je ne me laisserai pas payer. Je lui dois bien assez, après ce qu’il a fait pour moi.

— Il ne souffrira pas que tu travailles gratis pour lui.

— Il faudra bien qu’il le souffre, car il n’en saura rien. Est-ce qu’il sait ce qui se fait dans ses fermes ? Il fait son