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LE PÉCHÉ

mais je vous dis, moi, que votre livre est un menteur, ou que vous l’avez mal étudié : autrement vous sauriez ce que je sais.

— Quoi donc ?

— C’est que votre usine est impossible, et que votre père, s’obstinant à se battre contre une rivière qui se moque de lui, perdra ses dépenses, et s’avisera trop tard de sa folie. Voilà pourquoi vous me voyez si gai depuis quelque temps. J’ai été triste et de mauvaise humeur tant que j’ai cru à la réussite de votre entreprise ; mais j’avais une espérance qui pourtant me revenait toujours et dont j’ai voulu avoir le cœur net. J’ai marché, j’ai examiné, j’ai travaillé, étudié. Oh oui ! étudié ! sans avoir besoin de vos livres, de vos cartes et de vos grimoires ; j’ai tout vu, tout compris. Monsieur Émile, je ne suis qu’un pauvre paysan, et votre Galuchet me cracherait sur le corps s’il osait ; mais je puis vous certifier une chose dont vous ne vous doutez guère : c’est que votre père n’entend rien à ce qu’il fait, qu’il a pris de mauvais conseils, et que vous n’en savez pas assez long pour le redresser. L’hiver qui vient emportera vos travaux, et tous les hivers les emporteront jusqu’à ce que M. Cardonnet ait jeté son dernier écu dans l’eau. Souvenez-vous de ce que je vous dis, et n’essayez pas de le persuader à votre père. Ce serait une raison de plus pour qu’il s’obstinât à se perdre, et nous n’avons pas besoin de cela pour qu’il le fasse ; mais vous serez ruiné, mon fils, et si ce n’est ici entièrement, ce sera ailleurs, car je tiens la cervelle de votre papa dans le creux de ma main. C’est une tête forte, j’en conviens, mais c’est une tête de fou. C’est un homme qui s’enflamme pour ses projets à tel point qu’il les croit infaillibles, et, quand on est bâti de cette façon-là, on ne réussit à rien. J’ai d’abord cru qu’il jouait son jeu, mais, à présent, je vois bien que la partie