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LE PÉCHÉ

par la pluie et la foudre, en compagnie d’un vieux charpentier et d’une jeune demoiselle.

Jean ne se souciait pas beaucoup de franchir la grille de la cour avec Gilberte ; car il était impossible, demeurant aussi près de Châteaubrun, que quelques serviteurs, sinon tous, ne connussent pas la figure de cette charmante fille, et la première exclamation devait la trahir.

Cependant la pluie tombait toujours, et il n’y avait aucun motif plausible pour faire descendre à la porte extérieure le marquis ou Gilberte, d’autant plus que M. de Boisguilbault voulait absolument que ses compagnons entrassent chez lui pour attendre au coin du feu la fin d’une pluie si obstinée et si froide. Jean mourait pourtant d’envie de saisir ce prétexte pour prolonger le rapprochement ; mais Gilberte refusait avec terreur d’entrer dans le sombre manoir de Boisguilbault, et il était certain qu’il y avait grand danger à le faire.

Heureusement, les habitudes excentriques du marquis lui rendirent impossible l’entrée de son château. Il eut beau agiter la cloche à diverses reprises, le vent rugissait avec fureur et emportait au loin la vibration. Aucun domestique, aucune servante ne couchait dans cette partie du bâtiment, où régnait systématiquement une affreuse solitude ; et quant au vieux Martin, seul excepté de cette règle, il était trop sourd pour entendre, soit la cloche, soit la foudre.

M. de Boisguilbault fut très-mortifié de ne pouvoir exercer l’hospitalité dont tout lui faisait un devoir, et conçut beaucoup de dépit contre lui-même de n’avoir pas prévu ce qui arrivait. Sa colère faillit revenir, et se tourner contre le vieux Martin, qui se couchait avec le soleil. Enfin, prenant tout à coup son parti : « Je vois bien, dit-il, qu’il faut que je renonce à rentrer chez moi, et qu’à moins d’avoir du canon pour prendre ma maison d’assaut,