Page:Sand - Le Secrétaire intime — Mattéa — La Vallée noire, 1884.djvu/228

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de son imagination, que l’oisiveté avait rendue fort impressionnable  ; laborieux et actif, mais indifférent à toutes les jouissances que pouvaient lui procurer ses bénéfices  ; amoureux de l’or monnayé, et dilettante di musica, bien qu’il eût la voix fausse et battit toujours la mesure à contre-temps  ; doux, souple, et assez adroit pour régner au moins sur son argent sans trop irriter une femme acariâtre  ; pareil d’ailleurs à tous ces vrais types de sa patrie, qui participent au moins autant de la nature du polype que de celle de l’homme.

Il y avait bien une trentaine d’années que M. Spada fournissait des étoffes et des rubans à la toilette effrénée de la princesse Gica  ; mais il se gardait bien de savoir le compté des ans écoulés lorsqu’il avait l’honneur de causer avec elle, ce qui lui arrivait assez souvent, d’abord parce que la princesse se livrait volontiers avec lui au plaisir de babiller, le plus doux qu’une femme grecque connaisse  ; ensuite parce que Venise a eu en tout temps les mœurs faciles et familières qui n’appartiennent guère en France qu’aux petites villes, et que notre grand monde, plus collet-monté, appellerait du commérage de mauvais ton.

Après s’être fait expliquer l’accident qui avait lancé M. Zacomo à ses pieds, la princesse Veneranda le fit donc asseoir sans façon auprès d’elle, et le força, malgré ses humbles excuses, d’accepter un abri sous le drap noir de sa gondole contre la pluie et le vent, qui faisaient rage, et qui autorisaient suffisamment un tête-à-tête entre un vieux marchand sexagénaire et une jeune princesse qui n’avait pas plus de cinquante-cinq ans.

« Vous viendrez avec moi jusqu’à mon palais, lui avait-elle dit, et mes gondoliers vous conduiront jusqu’à : votre boutique. » Et, chemin faisant, elle l’accablait de questions sur sa santé, sur ses affaires, sur sa femme,