Page:Sand - Le Secrétaire intime — Mattéa — La Vallée noire, 1884.djvu/253

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il m’épousera et renverra ses vingt femmes  ; si je suis sa servante, il me nourrira et ne me battra pas.

— Te battre, te battre ! par le Christ ! on ne te bat pas ici. »

Mattea ne répondit rien  ; mais son silence eut une éloquence qui paralysa son père. Ils furent tous deux muets pendant quelques instants, l’un plaidant sans vouloir parler, l’autre lui donnant gain de cause sans oser l’avouer.

« Je conviens que tu as eu quelques chagrins, dit-il enfin  ; mais écoute  ; ta marraine va t’emmener à la campagne, cela te distraira  ; personne ne te tourmentera plus, et tu oublieras ce Turc. Voyons, promets-le moi.

— Mon père, dit Mattea, il ne dépend pas de moi de l’oublier  ; car croyez bien que mon amour pour lui n’est pas volontaire, et que je n’y céderai jamais si le sien n’y répond pas.

— Ce qui me rassure, dit M. Zacomo en riant, c’est que le sien n’y répond pas du tout…

— Qu’en savez-vous, mon père ? » dit Mattea poussée par un mouvement d’orgueil blessé. Cette parole fit frémir Spada de crainte et de surprise. Peut-être se sont-ils entendus, pensa-t-il  ; peut-être l’aime-t-il et l’a-t-il séduite par l’entremise du Grec, si bien que rien ne pourra l’empêcher de courir à sa perte. Mais en même temps qu’il s’effrayait de cette supposition, je ne sais comment les deux mille sequins, le bâtiment smyrniote et la soie blanche lui revinrent eu mémoire, et son cœur bondit d’espérance et de désir. Je ne veux pas savoir non plus par quel fil mystérieux l’amour du gain unit ces deux sentiments opposés, et fit que Zacomo se promit d’éprouver les sentiments d’Abul pour sa fille, et de les exploiter en lui donnant une trompeuse espérance. Il y a tant d’honnêtes moyens de vendre la dignité d’une fille !