Page:Sand - Le Secrétaire intime — Mattéa — La Vallée noire, 1884.djvu/255

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le encore aujourd’hui, lui disait-il dans le secret de sa pensée en voyant les grands yeux humides de Mattea briller au travers de son voile et se fixer sur Abul  ; va, sois belle et fais-lui soupçonner que tu l’aimes. Quand j’aurais la soie blanche, tu rentreras dans ta cage, et j’aurai la clef dans ma poche.


V


La belle Mattea s’étonnait avec raison de se voir amenée en cette compagnie par son propre père, et dans le premier moment elle avait craint de sa part quelque sortie maladroite ou quelque ridicule proposition de mariage  ; mais en l’entendant parler de ses affaires à Timothée avec beaucoup de chaleur et d’intérêt, elle crut comprendre qu’elle servait de leurre ou d’enjeu, et que son père mettait en quelque sorte sa main à prix. Elle en était humiliée et blessée, et l’involontaire mépris qu’elle ressentait pour cette conduite augmentait en elle l’envie de se soustraire à l’autorité d’une famille qui l’opprimait ou la dégradait.

Elle eût été moins sévère pour M. Spada si elle se fût rendu bien compte de l’indifférence d’Abul et de l’impossibilité d’un mariage légal entre elle et lui. Mais depuis qu’elle avait résolu à l’improviste de concevoir une grande passion pour lui, elle était en train de divaguer, et déjà elle se persuadait que l’amour d’Abul avait prévenu le sien, qu’il l’avait déclaré à ses parents, et que, pour cette raison, sa mère avait voulu la forcer d’épouser au plus vite son cousin Checo. Le redoublement de politesse et de prévenances de M. Spada envers ces deux étrangers, que le matin même elle lui avait entendu maudire et traiter de chiens et d’idolâtres semblait, au reste, une confirmation assez évidente de cette opinion. Mais si