Page:Sand - Le Secrétaire intime — Mattéa — La Vallée noire, 1884.djvu/303

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meilleur des voisins. En même temps qu’il est pillard, tracassier, susceptible, indiscret, et despote, il est, dans les grandes occasions, tout zèle, tout cœur, et tout élan. Insupportable dans les petites choses, il vous exerce à la patience, il vous enseigne l’égalité qu’il ne comprend pas en principe, mais qu’il pratique en fait ; il vous force à l’hospitalité, à la tolérance, à l’obligeance, au dévouement ; toutes vertus que vous perdez dans la solitude, ou dans la fréquentation exclusive de ceux qui n’ont jamais besoin de rien. Lui, il a besoin de tout ; il le demande. Donnez-le-lui, ou il le prendra. Si vous lui faites la guerre, vous serez vaincu ; si vous cédez, il n’abusera point trop, et il vous le rendra en services d’une autre nature, mais indispensables. Cet échange, où vous auriez tant de frais à faire, vous paraît dur ? Il est plus dur de n’être pas aimé (lors même qu’on le mérite), faute d’être connu. Il est plus dur de ne pas se rendre utile, et de ne pas faire d’heureux dans la crainte de faire des ingrats. Il est plus dur d’avoir à payer que d’avoir à donner. Je vous en réponds, je vous en donne ma parole d’honneur. L’homme qui n’a pas quelque chose à souffrir de ses semblables souffrira bien davantage d’être privé de leur commerce et de leur sympathie. Si j’avais beaucoup de terres et point de voisins, je donnerais des terres aux mendiants, afin d’avoir leur voisinage, et afin de pouvoir causer de temps en temps avec des hommes libres. Je les leur donnerais sans vouloir qu’ils fussent reconnaissants.

II.

Quel contraste entre ces pays à habitudes féodales et la partie du Berry que j’ai baptisée Vallée-Noire ! Chez nous, presque pas de châteaux, beaucoup de forteresses seigneuriales, mais en ruines, ouvertes à tous les vents,