Page:Sand - Le Secrétaire intime — Mattéa — La Vallée noire, 1884.djvu/310

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nés tabellions ne retrouvèrent pas le plus petit parchemin, ce qui irrita fort monseigneur. De leur côté, les paysans furent révoltés de ces prétentions surannées. Le curé de Nohant, qui avait par avance des instincts jacobins, fit une chanson contre monseigneur. Monseigneur exigea qu’à l’offertoire monsieur le curé lui offrît l’encens dans sa tribune. On n’a jamais dit ce que le curé mit dans l’encensoir, mais le seigneur en fut quasi asphyxié, et s’abstint de respirer pendant toute la messe.

La révolution grondait déjà au loin. Les paysans couchaient en joue le seigneur dans son jardin, en passant le canon de fusils non chargés par dessus la haie. Ce n’était encore qu’une menace : monseigneur la comprit et émigra.

Je crois que cette histoire ressemble à celle de toutes les localités de la Vallée-Noire, et pour s’en convaincre, il ne faut que voir le paysan propriétaire, maître, chez lui, indépendant par position et par nature, calme et bienveillant avec ses amis riches, traitant d’égal à égal avec eux, se moquant beaucoup des grands airs, nullement servile dans sa gratitude ; il se sent fort, et ne ferait pourtant usage de sa force qu’à la dernière extrémité. Il se souvient que sa liberté date de loin et qu’il lui a suffi de menacer pour mettre la féodalité en fuite.

Que le gouvernement ne s’étonne donc pas trop de voir la bourgeoisie indocile de La Châtre nommer ses représentants et ses magistrats à sa guise : le paysan incrédule rit quand on lui parle des chemins de fer qui vont, tout exprès pour lui, se détourner des grands plateaux dont la Vallée-Noire est environnée et se plonger dans nos terrains tourmentés, où on ne trouverait pas un mètre du sol de niveau avec le mètre du voisin. On a promis à plus d’un meunier d’établir un débarcadère dans sa prairie ; on