Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/135

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des livres. Vous êtes libre de vous retirer, si la discussion de nos intérêts, comme nous les entendons pour le moment, blesse votre croyance ; mais nous vous prions de ne pas quitter la ville avant que la crise où nous sommes ait changé de face. S’il fallait en venir à de nouveaux combats, et si la société vous ordonnait de marcher, nous savons que vous vous conduiriez comme un brave soldat de l’armée de Salomon.

Pierre s’inclina en signe de respect et de soumission. Il se retira, et le Corinthien le suivit. — Frère, lui dit ce noble jeune homme, ne sois pas humilié, ne sois pas triste, je t’en supplie ; ce que le Dignitaire vient de dire est bien vrai, tes paroles ont retenti dans des cœurs amis du tien.

— Je ne suis point humilié, répondit l’Ami-du-trait, et ta sympathie suffirait à elle seule pour me dédommager de l’emportement des autres. Mais je suis inquiet, je te l’avoue, et pour une chose toute personnelle. Le Dignitaire vient de m’ordonner en quelque sorte de rester ici. Je comprends la délicatesse de cette intention ; il voit que plusieurs m’accuseront de manquer de cœur à l’heure du combat, et il me fournit l’occasion de me réhabiliter à leurs yeux ; mais je ne suis pas jaloux de cet honneur farouche, et je l’accepterai avec douleur. Une raison non moins grave me fait regretter d’avoir renoué mes relations avec la société. J’ai donné ma parole d’honneur à mon père d’être de retour sous trois jours, et mon père a donné la sienne de reprendre ses travaux demain. Il ne peut le faire sans moi. Il est malade, et plus sérieusement peut-être depuis que je suis absent. Il est d’un caractère bouillant, d’une loyauté scrupuleuse. À l’heure qu’il est, il m’attend sur la route, et je crois le voir tourmenté par l’inquiétude, par l’impatience, par la fièvre.