Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/151

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mais inévitables, mais nécessaires à la floraison et à la maturité de ce germe qui grandit dans la souffrance comme tout ce qui s’enfante au sein de l’univers ? Pourquoi n’appliquerions-nous pas cette idée à l’humanité ? Pourquoi le présent nous ferait-il renoncer à notre idéal ? Pourquoi, puisque nous assistons à la manifestation de l’idée dans le monde, n’accepterions-nous pas ses défaillances, comme les savants observent sans effroi celles de la lumière dans les astres impérissables ? Mais enfants nous-mêmes, et ignorants que nous sommes, nous croyons souvent que l’enfant va périr parce qu’il se fait homme, que les soleils vont s’éteindre parce que leurs foyers se couvrent de nuages !

Si Pierre Huguenin avait pu se rendre bien compte du passé et de l’avenir du peuple, il ne se fût pas tant effrayé du présent où il le voyait engagé. Il se serait dit que le principe de fraternité et d’égalité, toujours en travail dans l’âme des opprimés, subissait en ce moment-là une crise nécessaire ; et que le compagnonnage, qui est une des formes essayées par l’instinct fraternel, devait alors sa conservation a ces luttes, à ces combats, à ce sang versé, à cet orgueil en délire. Dans un temps où l’esprit des classes éclairées n’avait pas encore songé à la plus importante des vérités, à la plus nécessaire des initiations, c’était la Providence qui conservait dans le peuple cet esprit d’association mystique et d’enthousiasme républicain, à travers les vanités de famille, les jalousies de métier, les préjugés de secte, et le brutal héroïsme de l’esprit de corps.

Le prolétaire philosophe se débattait en vain dans ce problème obscur de la notion du bien et du mal ; distinction fictive dans l’ordre abstrait, en présence de l’idée éternelle ; vraie seulement dans l’ordre des choses créées dans la manifestation temporaire. Il se laissait donc abat-