Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/154

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seul mot, tant il se sentit troublé, presque effrayé de ce qu’il entendait.

— Mon pauvre Pierre, répondit l’étranger, vous avez raison d’être accablé et dégoûté du métier que vous faites de parler à des sourds, et d’agiter le flambeau de la vérité devant des aveugles. Vous ne tirerez jamais rien de ces âmes ineptes ; vous ne réformerez pas ces mœurs féroces. Vous êtes un homme supérieur, et pourtant vous ne ferez pas un tel miracle. Il n’y a rien à espérer de vos Compagnons.

— Qu’en savez-vous, vous qui me parlez avec tant d’assurance de ce que vous présumez et ne savez pas ? Connaissez-vous les ouvriers pour vous prononcer ainsi contre eux ? Êtes-vous des nôtres ? Portez-vous la même livrée que nous ?

— J’en porte une plus belle, repartit l’étranger ; c’est celle de serviteur de l’humanité.

— Vous devez être un serviteur très-occupé, dit Pierre en secouant la tête avec un peu de dédain ; car sa nouvelle connaissance commençait à lui inspirer plus de méfiance que de sympathie.

L’étranger, poursuivant son cours de divination, lui dit avec un sourire bienveillant : — Cher maître Huguenin, dans ce moment-ci vous vous demandez si je ne suis point un homme de la police, un agent provocateur.

Interdit de ce nouveau prodige, Pierre se mordit les lèvres. — Si j’ai cette pensée, répondit-il, n’êtes-vous pas tout préparé à en subir les conséquences, vous qui m’abordez d’une façon si étrange, vous que je ne connais pas ?…

— Pourquoi, reprit l’étranger, voulez-vous qu’une action aussi simple que celle de vous aborder sur un chemin cache des motifs mystérieux ? Êtes-vous donc de ces hom-