Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/164

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Huguenin. La Clef-des-cœurs était, certes, un ouvrier très-adroit, mais un diplomate très-gauche. À cette ingénuité parfaite il unissait la singulière prétention d’être fort rusé, et de savoir conduire finement une affaire délicate. Pierre, qui ne le connaissait pas, se méfia un peu de ses promesses. Mais le Berrichon y revint avec tant d’assurance, que Pierre se disait en lui-même tout en le regardant : On a vu quelquefois beaucoup de sens et de finesse se loger, comme par mégarde, dans ces grosses têtes, dont les yeux ternes et béants ne ressemblent pas mal aux fenêtres peintes que l’on simule sur les murs des maisons mal percées.

La nuit était close lorsqu’ils arrivèrent à la porte du Vaudois. Elle était fermée avec soin, et il fallut se nommer pour entrer. — Que signifie ce redoublement de précaution ? dit Pierre à voix basse en embrassant son hôte. La police serait-elle sur les traces du Corinthien ? — Non, grâce à Dieu, répondit la Sagesse ; mais il a quitté sa soupente pour se rendre à l’invitation de notre voyageur, et il fallait bien se tenir sur ses gardes ; car c’est ici la maison du bon Dieu : tout le monde peut y entrer. — Quel voyageur ? demanda Pierre étonné. — Celui que vous savez bien, répondit le Vaudois, puisque vous venez au rendez-vous ; il est là qui vous attend avec des gens de votre connaissance.

Pierre ne comprenait rien à ces paroles. Il entra dans la salle, et vit avec quelque surprise l’étranger mystérieux qui l’avait abordé trois jours auparavant au bord de la Loire, attablé avec le Dignitaire, un des quatre anciens maîtres serruriers du Devoir de liberté, et un jeune avocat de Blois que Pierre Huguenin avait fréquenté à son premier séjour en cette ville. Ce dernier vint à lui, et, lui prenant la main d’un air affectueux, le fit approcher de la table : — J’ai bien des reproches à vous faire, maître Hu-