Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/220

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— C’est une fort jolie chose, répondit mademoiselle de Villepreux ; c’est une des figures de la vieille boiserie qu’ils ont grattée ?

— Ce n’est pas une des anciennes, répondit Pierre avec une joyeuse assurance ; c’est l’ouvrage de mon compagnon.

— Où le vôtre, dit-elle en le regardant.

— Je n’ai pas tant d’adresse, répondit-il ; je ne me risquerais pas à le tenter. Je pourrais faire des feuillages et des bordures, quelques animaux tout au plus ; mais les personnages ne peuvent sortir que du ciseau de mon ami. Veuillez dire votre avis, monsieur.

Dans son trouble, Pierre ne sut pas dire mademoiselle en s’adressant à Yseult, et sa confusion augmenta quand il la vit sourire de sa méprise ; mais reprenant aussitôt son sérieux :

— Savez-vous, mon père, dit-elle, que ceci est bien curieux et bien remarquable ? Il y a là-dedans une naïveté de sentiment qui vaut mieux que l’art ; et un artiste de profession n’aurait jamais compris le style comme cet ouvrier l’a fait. Il aurait voulu corriger, embellir. Ce qui est une qualité principale, l’absence de savoir, lui aurait paru un défaut. Il aurait tourmenté et maniéré ce bois sans en tirer cette forme simple, vraie et pleine de grâce dans sa gaucherie. Il semble que cela soit sorti, comme le modèle, de la main d’un ouvrier du quinzième siècle : même caractère, même ingénuité, même ignorance des règles, même franchise d’intention. Je vous assure que c’est beau dans son genre, et qu’il ne faut pas chercher ailleurs le sculpteur qui réparera toute la boiserie. Et il faudra le bien récompenser, cela en vaut la peine ; car c’est un travail qui prouve beaucoup d’intelligence. Le hasard vous a toujours bien servi, mon père ; en voici une nouvelle preuve.