Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/239

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semblait un jeu ; et voilà pourquoi aussi elle fut si étonnée lorsqu’elle la vit pleurer à cette occasion. Mais ces larmes ne lui apprirent rien encore ; car Joséphine les expliqua par un amour-propre d’artiste, par une migraine, par tout ce qu’il lui plut d’inventer.

Toutes les cajoleries du château n’avaient pas jusqu’alors troublé la cervelle du bon Corinthien. L’engouement du vieux comte partait certainement d’un grand fonds de bienveillance et de générosité ; mais il était fort imprudent, car il pouvait égarer le jugement d’un jeune homme arraché à son obscurité paisible pour être lancé d’un bond dans la carrière du succès et de l’ambition. Heureusement Pierre Huguenin veillait sur lui comme la Providence, et le maintenait dans son bon sens par une sage critique. De son côté, le père Huguenin, tout en admirant franchement l’adresse et le goût du jeune sculpteur, lui donnait l’avis paternel de se tenir en garde contre la louange. Il n’avait pas encore à se plaindre de la nouvelle direction que le travail de ce compagnon allait prendre ; car celui-ci, fidèle à sa parole, ne faisait de sculpture que le dimanche, ou le soir pendant une heure ou deux de la veillée, par manière d’essai, et toutes ses journées de la semaine étaient consacrées à terminer la boiserie pour laquelle il avait engagé ses services. Il ne devait sculpter définitivement qu’après avoir satisfait entièrement son maître. Mais si le vieux menuisier ne blâmait pas cette tentative hardie (voyant même avec plaisir son fils s’y associer ; car sur ce terrain cessait toute jalousie de métier, touts concurrence de talent), il n’approuvait pas tout à fait les fréquentes et amicales relations qui s’étaient établies entre le salon et l’atelier. — Certainement, disait-il, je n’ai pas à me plaindre du vieux comte. C’est un homme juste, et son économie ordinaire se change en magnificence quand il rencontre le mérite. Il a des façons