Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/255

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Quelle est donc cette femme ? Comment une autre que la Savinienne peut-elle te sembler belle ? Si j’aimais, et si j’étais aimé, il me semble qu’il n’y aurait pour moi qu’une femme sur la terre. Je ne saurais pas seulement s’il en existe d’autres.

— Pierre, tu ne comprends rien à tout cela. Tu n’as jamais été amoureux. Tu crois peut-être à une puissance surhumaine qui n’est pas dans l’amour. Écoute ; je veux t’ouvrir mon cœur ; je veux te dire ce qui se passe en moi, et si tu y vois plus clair que moi-même, je suivrai tes conseils. Je te l’ai dit, il y a là-bas une femme que je regarde avec trouble, et à laquelle je pense avec plus de trouble encore quand je ne la vois pas. Souviens-toi de ce que tu me disais dans l’atelier, il y a cinq ou six jours, à propos d’une petite figure que j’ai découpée dans un de mes médaillons ?

— C’était la tête, la coiffure, sinon les traits d’une dame…

— Il est bien inutile de la nommer. Elles ne sont que deux : l’une est l’image de l’indifférence, l’autre est l’image de la vie. Tu as prétendu que j’avais voulu faire le portrait de cette dernière, je m’en suis défendu. Je ne le voulais pas en effet ; mais, malgré moi, quelque chose de sa forme gracieuse était venu sous mon ciseau. Tu insistas ; tu pris Guillaume à témoin. Nous parlions un peu haut peut-être, et je ne sais si du cabinet de la tourelle on n’entend pas ce qui se dit dans l’atelier. Nous sommes sortis, et puis, à la nuit, je suis rentré pour prendre le livre que nous avions laissé là. Tu m’attendais à la maison pour l’achever. Tu m’as attendu assez longtemps. Je t’ai dit que j’avais marché un peu dans le parc pour dissiper un mal de tête. Je ne t’ai pas menti ; j’avais la tête en feu, et j’ai marché beaucoup en sortant de l’atelier.

— Que s’est-il donc passé là ? Je ne saurais l’imaginer.