Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/258

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

encore. J’ai cru que c’était un des ouvriers qui courait après moi.

Cette parole m’a bien surpris, Pierre. Que voulait-elle dire ? Est-ce que je ne suis pas un ouvrier, moi ? A-t-elle cru me flatter en me disant qu’elle me mettait à part, ou bien est-ce une idée de mépris qui s’est échappée malgré elle ? D’ailleurs elle m’avait fort bien reconnu, puisqu’elle m’avait nommé tout d’abord. Elle s’est levée pour partir, et sa robe s’est accrochée à une scie qui se trouvait là. Il m’a fallu l’aider à se dégager, et cette robe de soie qui était si douce m’a fait tressaillir jusqu’au bout des doigts. J’étais comme un enfant qui tient un papillon et qui craint de lui gâter les ailes. Elle a cherché ensuite à se diriger vers l’échelle-à-marches pour regagner la tribune, et je n’osais ni la suivre, ni m’éloigner. Quand elle a été sur les premières marches, elle a fait encore un petit cri, et j’ai entendu craquer les planches. J’ai cru qu’elle tombait encore, et en deux sauts j’ai été auprès d’elle. Elle riait, tout en disant qu’elle s’était fait mal au pied ; et elle disait aussi qu’elle n’osait pas remonter, de peur de rouler en bas. Je lui ai proposé d’aller chercher de la lumière.

— Oh ! non, non ! s’est-elle écriée. Il ne faut pas qu’on me sache ici ! Et elle s’est risquée à grimper. J’aurais été bien grossier, n’est-ce pas, si je ne l’avais pas aidée ? Elle était vraiment en danger en montant dans l’obscurité cette échelle qui ne serait pas commode pour une femme même en plein jour. J’ai donc monté avec elle, et elle s’est appuyée sur moi. Et voilà qu’au dernier échelon elle a encore failli tomber, et que j’ai été forcé de la retenir encore dans mes bras. Le danger passé, elle m’a remercié d’un ton si doux et avec une voix si flatteuse, que je me suis senti attendri ; et quand elle a refermé sur elle la porte de la tourelle, j’ai eu comme un accès de folie.