Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/54

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de mystérieuse étude, assis avec noblesse sur les coussins d’un sofa de velours, il contemplait un paysage admirable dont il sentait la poésie se révéler à lui à mesure que les descriptions des poëtes lui traduisaient l’art divin dont la création est l’expression visible. Dans ces moments-là Pierre Huguenin se sentait le roi du monde ; mais lorsqu’il retrouvait sur son front pensif, sur ses mains sèches et meurtries, les éternels stigmates de sa chaîne d’esclave, des larmes brûlantes coulaient de ses yeux. Puis il tombait à genoux, étendait ses bras vers le ciel, et lui demandait patience pour lui-même, justice pour tous ses frères, abandonnés sur la terre à l’ignorance et à l’abrutissement de la misère.

Aux émotions violentes et profondes de l’histoire succédèrent un charme ineffable et des transports d’imagination, lorsque les premiers romans de Walter Scott lui tombèrent sous la main. Vous saurez bientôt comment ce plaisir si pur lui devint dangereux, et combien il subit l’influence de cette dernière lecture.

CHAPITRE V.

Un fâcheux incident interrompit les travaux de l’atelier au moment où ils allaient le mieux. Un des meilleurs apprentis du père Huguenin se démit l’épaule en tombant d’une échelle ; et, comme un malheur n’arrive jamais seul, le père Huguenin s’enfonça dans le pouce un éclat de bois qui le mit hors de travail. M. Lerebours lui prodigua de gracieuses condoléances pendant un jour ou deux ; mais quand il vit que l’apprenti était retourné chez ses parents pour se faire soigner, et quand le médecin du village eut visité la main du vieux menuisier, et décrété qu’il fallait quinze jours de repos à cette blessure,