Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/84

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votre art, si utile aux jeunes gens de la profession !

— Je leur suis encore utile, répondit Vaudois-la-Sagesse ; je leur donne des conseils et des leçons. Il est rare qu’ils entreprennent un ouvrage de quelque importance sans venir me consulter. Plusieurs m’ont offert de me payer un cours dessin, mais je le leur fais gratis. Il ferait beau voir qu’après s’être cotisés pour me procurer mon établissement, ils ne me trouvassent pas reconnaissant et désintéressé envers eux ! C’est bien assez, c’est déjà trop, qu’ils payent ici leur écot. Aussi, comme je suis content, comme je suis fier, quand j’en vois qui passent devant ma porte, et qui refusent d’entrer, faute d’argent dans la poche ! Cela arrive bien quelquefois ; alors je les prends au collet, je les force de s’asseoir sous mon houblon, et, bon gré, mal gré, il faut qu’ils mangent et qu’ils boivent. Brave jeunesse ! que d’avenir dans ces âmes-là !

— Un avenir de courage, de persévérance, de talent, de travail, de misère et de douleur ! dit Pierre en s’asseyant sur un banc et en jetant son paquet sur la table avec un profond soupir.

— Qu’est-ce que j’entends là ? s’écria la Jambe-de-bois ; oh ! oh ! je vois que mon fils l’Ami-du-trait manque à la sagesse ! je n’aime pas à voir les jeunes gens mélancoliques. Vous avez besoin de passer une heure ou deux avec moi, pays Villepreux ; et, pour commencer, nous allons goûter ensemble.

— Je le veux bien ; la moindre chose me suffira, répondit Pierre en le voyant s’empressa de courir à son buffet.

— Vous ne commandez pas ici, mon jeune maître, reprit avec enjouement le charpentier. Vous ne ferez pas la carte de votre repas ; car vous n’êtes pas à l’auberge, mais bien chez votre ancien, qui vous invite et vous traite,