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LE COMPAGNON

et de combat opéreront ou n’opéreront pas dans ce jeune garçon. Il ne vous comprend pas, et retourne avec plaisir à sa commère Savinienne. Ceci vous prouve encore qu’il y a plus loin du pavé populaire aux sommités du vrai mérite et de véritable considération que de l’établi du menuisier au lit d’une marquise.

Joséphine subit cette réprimande cynique et mordante avec une aveugle soumission. Sa pensée ne s’éleva pas plus haut que le libéralisme étroit du vieux comte. Elle n’aperçut aucune inconséquence dans sa conduite et dans ses paroles ; tout lui parut article de foi. Elle dévora son humiliation avec douleur, mais sans révolte, et reçut son pardon à genoux et avec reconnaissance. Elle était de cette race sur laquelle la caste noble, quoique haïe et tournée en ridicule, exerce encore une influence souveraine.

Le comte essaya d’abord de traiter le Corinthien comme un petit garçon et de lui faire peur. À le voir si gentil, il ne s’était jamais douté de l’orgueil et de l’emportement de son caractère. Lorsqu’il le vit entrer en révolte, déclarer qu’il était libre, qu’il n’obéissait à personne, qu’on pouvait bien le renvoyer de l’atelier et du château, mais non pas du pays et du village, qu’il ne reconnaissait au comte aucune autorité sur la marquise et sur lui, force fut à l’habile vieillard de reconnaître qu’il venait de faire une école, et que ni la peur du bâton ni la crainte de perdre la protection et les bienfaits ne vaincraient la fierté du Corinthien. Il changea donc de tactique, le prit par la douceur, le raisonna paternellement, le plaignit de son amour, lui dévoila toute la faiblesse et toute la vanité de Joséphine, et lui conseilla d’épouser la Savinienne ou d’aller étudier la statuaire en Italie. Le Corinthien avait sur le cœur les menaces qu’on venait de lui faire ; il s’en vengea en sortant du cabinet de M. de Villepreux sans