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DU TOUR DE FRANCE.

rien entendu dire à propos d’elle ? dit Achille à voix basse. — Rien du tout, répondit Pierre ; et comme il craignait que l’autre ne voulût pas continuer son bavardage, il ajouta aussitôt pour le remettre en train : Ah ! si fait ; j’ai ouï dire qu’elle avait une grande passion dans le cœur pour un jeune homme qu’on ne veut pas lui donner en mariage. — Ah bah ! vraiment ? s’écria Achille. Je n’avais jamais entendu parler de cela ; il serait possible… pourquoi non ? Mais je n’en savais rien. — Que vouliez-vous donc m’apprendre ? — Une chose très-particulière ; savez-vous de qui ou prétend qu’elle est fille ? — Je ne sais. — De l’empereur Napoléon, ni plus ni moins. — Comment cela se pourrait-il ? — Très-naturellement. Son père, le fils du vieux comte, avait épousé une jeune dame attachée aux atours de l’impératrice Joséphine ; si bien que le premier enfant de ce mariage, s’il faut en croire la chronique, serait né un peu plus tôt que de raison, et aurait dans les lignes de son profil une ressemblance adoucie avec l’aigle corse. Que vous en semble ?

— Rien ; je n’ai jamais remarqué cela. Cependant la hauteur de son caractère me fait croire qu’elle peut bien avoir du sang de quelque despote dans les veines.

— Est-elle dédaigneuse, ou moqueuse ?

— Je vous le demande : vous la connaissez beaucoup, et moi pas le moins du monde. Dans ma position vis-à-vis d’elle, je ne puis…

— Mais passe-t-elle ici pour dédaigneuse ?

— Assez.

— Et vous, que vous semble-t-elle ?

— Étrange.

— Oui, étrange, n’est-ce pas ? d’un sérieux fantasque, d’un bon sens énigmatique ; froide, orgueilleuse ; une vraie nature de princesse ?

— Vous l’avez beaucoup étudiée !…