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PROCOPE LE GRAND.

c’est l’épée à la main qu’elle accomplit sa prédication sublime[1].

Mais les sectes de Tabor étaient grandes et austères, il s’en fallait de beaucoup qu’elles fussent toutes suffisamment éclairées pour demeurer d’accord. Elles étaient parties en apparence de Wicklef et de Jean Huss, mais quelques-unes de leurs doctrines remontaient jusqu’à Pierre Valde et à Bérenger. Nous avons vu Ziska, en grand général et en politique habile, pactiser tantôt avec

  1. Puisque le nom de Jeanne d’Arc se rencontre ici à propos des Hussites je rappellerai un fait intéressant et fort peu connu. Il existe quelques lignes écrites par Jeanne, où elle se montre émue et fort courroucée de l’hérésie de Bohème. Je voulais citer ces paroles textuellement. Un de mes amis, qui s’est donné de la peine à ce sujet, m’écrit : « J’ai vraiment du malheur pour cette introuvable lettre : on n’a jamais pu me la découvrir à la Bibliothèque, quoique j’en eusse l’indication exacte. Je suis réduit à rappeler mes souvenirs sur le sens des quelques lignes écrites par Jeanne. Elle annonce aux Hussites qu’après avoir chassé les Anglais du royaume de France, elle ira les guerroyer, s’ils ne se réunissent à la Sainte Mère Église. La lettre est du 3 mars 1430 ; elle a été publiée par le baron de Hormayr, dans l’Annuaire Historique de Munich (1834). Je suis désolé de l’inutilité de mes recherches. Il est étrange qu’à la Bibliothèque Nationale, qui devrait être un dépôt, non pas seulement européen, mais universel, on ne puisse se procurer les publications historiques de l’Allemagne. »

    Ainsi Jeanne voulait guerroyer les Hussites, s’ils ne se réunissaient à la Sainte Mère Église ! L’Église catholique avait brûlé Jean et Jérôme, et Jeanne l’inspirée tenait pour cette Église ! Et bientôt cette même Église fit brûler Jeanne elle-même comme hérétique et comme sorcière !

    Quelle conclusion le scepticisme prétendait-il tirer de là ? Jean et Jérôme, les brûlés de Constance, étaient divinement inspirés ; Jeanne, la brûlée de Rouen, l’était aussi. Et il est beau que Jeanne, qui ne pouvait connaître les faits qui se passaient en Bohème, ait tenu pour la Sainte Mère Église, c’est-à-dire pour la communion universelle du genre humain. Elle ne se trompait pas dans son sentiment ; elle se trompait seulement en ayant la bonne foi de prendre l’Église catholique, épiscopale ou papale, pour ce qu’elle se donnait. Qui ne sent dans son cœur que si Jeanne eût vu le jour en Bohème, elle aurait été une de ces intrépides femmes de Tabor qui mouraient pour leur foi en Dieu et en l’Humanité ?