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DU TOUR DE FRANCE.

souvenir pénible n’entrait pour rien dans l’accès de chagrin et de folie que vous venez de surprendre.

— Et maintenant, dit Yseult, voudrez-vous me pardonner une faute que rien ne peut justifier ?

Pierre, vaincu par tant d’humilité, la regarda encore. Elle était devant lui les mains jointes, la tête inclinée, et deux grosses larmes roulaient sur ses joues. Il se leva, saisi d’un généreux transport. — Oh ! que Dieu vous aime et bénisse, comme je vous estime et vous absous ! s’écria-t-il en élevant les mains au-dessus de la tête penchée de la jeune fille… Mais c’est trop, trop de choses à la fois ! ajouta-t-il en tombant sur ses genoux et en fermant les yeux.

En effet trop d’émotions l’avaient brisé. Yseult ne pouvait pressentir le fanatisme de vertu et l’exaltation d’amour qui fermentaient ensemble dans cette âme enthousiaste. Elle fit un cri en le voyant devenir pâle comme les lis de sa corbeille, et tomber à ses pieds, suffoqué, ivre de joie et de terreur, évanoui d’abord, et puis bientôt en proie à une crise nerveuse qui lui arracha des cris étouffés et de nouveaux torrents de larmes.

Quand il revint à lui-même, il vit à quelques pas de lui mademoiselle de Villepreux plus pâle encore que lui, effrayée et consternée à la fois, prête à courir pour appeler du secours, mais enchaînée à sa place, sans doute par l’espoir d’être plus directement utile à cette âme en peine par des consolations morales que par des soins matériels. Honteux de la faiblesse qu’il venait de montrer, Pierre la supplia, dès qu’il put parler, de ne pas s’occuper de lui davantage ; mais elle resta et ne répondit pas. Sa figure avait une expression de tristesse profonde, son regard était presque sombre.

— Vous êtes bien malheureux ! répéta-t-elle à plusieurs reprises, et je ne puis vous faire aucun bien ?