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LE COMPAGNON

à la Vente Suprême, votre vieux comte de Villepreux, avec qui vous faites, j’en suis sûr, plus de politique que de commerce, ne venez-vous pas de m’en faire un portrait fidèle ?

— J’ai peut-être été trop loin ; je l’accusais, dans mon emportement, d’une faute qu’il n’a pas commise…

— N’essayez pas de le réhabiliter dans mon estime. J’ai causé avec lui pendant une heure aujourd’hui. J’ai vu le fond de sa conscience. Il y a pied partout, je vous assure, pour quiconque aime à suivre sans fatigue et sans danger le courant de la fortune.

Ici Pierre raconta son entrevue avec le comte, sans dire toutefois quelle circonstance romanesque avait provoqué ce rapprochement. Son récit fit beaucoup réfléchir le bon Achille. Il se demandait ce qu’il eût pu répondre à la question que l’artisan avait adressée au vieux riche, et cependant il ne pouvait rien objecter contre le droit qu’avait l’artisan de poser ainsi le problème de la propriété.

— Il est certain, dit-il, que c’est une question bien grave, et qui demandera aux hommes du temps et du génie.

— Et du cœur, reprit Pierre ; car avec l’intelligence seule vous ne trouverez jamais rien.

— Et sans elle, pourtant, à quoi sert le dévouement ? Ne faut-il pas que les hommes supérieurs à la masse par la science et la méditation viennent au secours du peuple pour l’éclairer sur ses véritables intérêts ?

— Ne vous servez pas de ce mot-là, monsieur Achille. Nos véritables intérêts, grand Dieu ! nous savons bien ce que cela veut dire dans les idées de vos futurs législateurs !

— Mais enfin, Pierre, vous ne vous méfiez pas de moi ?

— Non, certes, mais je ne crois pas en vous, car vous n’en savez pas plus long que moi qui ne sais rien.