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II.

LES DEMOISELLES.


J’en viyons[1] une, j’en viyons deux,
Que n’aviant ni bouches ni z’yeux,
J’en viyons trois, j’en viyons quatre,
Je les ôrions bien voulu battre.
J’en viyons cinq, j’en viyons six
Qui n’aviant pas les reins bourdis[2] :
Darrier s’en venait la septième,
J’avons jamais vu la huitième.

Ancien couplet recueilli par Maurice SAND.



Les Demoiselles du Berry nous paraissent cousines des Milloraines de Normandie, que l’auteur de la Normandie merveilleuse décrit comme des êtres d’une taille gigantesque. Elles se tiennent immobiles, et leur forme, trop peu distincte, ne laisse reconnaître ni leurs membres ni leur visage. Lorsqu’on s’approche, elles prennent la fuite par une succession de bonds irréguliers très rapides.

Les demoiselles ou filles blanches sont de tous les pays. Je ne les crois pas d’origine gauloise, mais plutôt française du moyen-âge. Quoi qu’il en soit, je rapporterai une des légendes les plus complètes que j’aie pu recueillir sur leur compte.

Un gentilhomme du Berry, nommé Jean de la Selle, vivait, au siècle dernier, dans un castel situé au fond des bois de Villemort. Le pays, triste et sauvage, s’égaye un peu à la lisière des forêts, là où le terrain sec, plat et planté de chênes, s’abaisse vers des prairies que noient une suite de petits étangs assez mal entretenus aujourd’hui.

Déjà, au temps dont nous parlons, les eaux séjournaient dans les prés de M. de la Selle, le bon gentilhomme n’ayant pas grand bien pour faire assainir ses terres. Il en avait une assez grande étendue, mais de chétive qualité et de petit rapport.

Néanmoins, il vivait content, grâce à des goûts modestes et à un caractère sage et enjoué. Ses voisins le recherchaient pour sa bonne humeur, son grand sens et sa patience à la chasse. Les paysans de son domaine et des environs le tenaient pour un homme d’une bonté extraordinaire et d’une rare

  1. Nous en vîmes.
  2. Fatigués à force de sauter.