Page:Sand - Legendes rustiques.djvu/93

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« Mais quand le curé l’eut confessé de sa peine et bien grondé d’avoir été si lâche que de promettre un bon mouton à ces sales diables, on entendit autour de la maison du tailleur des hurlements abominables, et tout le village put voir sur les murs de cette maison, non pas le corps des lupins, ils n’eussent osé venir si près d’un lieu où était le curé de la paroisse, mais leur ombre si bien dessinée que les cheveux en dressaient sur la tête et que le sang était glacé dans le cœur. On eût dit que cela passait en nuages sur la lune, et on les voyait remuer, sauter, gratter la terre et se mordiller les uns les autres, en figures aussi nettes qu’une image peinte sur le pignon du tailleur, voire sur les maisons voisines.

« Et cela revint tous les soirs durant toute la semaine, de quoi tout le monde, et mêmement M. le curé, fut très effrayé.

« Pourtant le bossu, qui n’était pas bête, voyant qu’il y avait là de la diablerie et que les exorcismes de M. le curé ne pouvaient rien contre des apparences qui n’avaient point de corps, résolut d’attirer les lupins en personne au moyen d’un piège, et dès qu’il fut en état de se lever, il se fit prêter un beau mouton gras qu’il attacha, le soir, devant sa porte. Puis, ayant prévenu le curé de se tenir là tout près avec son goupillon, et tous les voisins de se cacher sous le buisson de son jardin, avec leurs fusils bien chargés de balles bénites, il commença de faire bêler le mouton en lui montrant de la feuille verte, placée trop loin de lui pour qu’il pût y toucher.

« Alors les lupins entendant cela, ne purent se tenir de quitter leur mur et de venir, à petits pas de loups, jusqu’en vue de la maison, où ils furent si bien reçus qu’ils se sauvèrent tous, sauf une vieille femelle qui reçut une balle dans le cœur et tomba par terre en criant d’une voix humaine : La lune est morte, la lune est morte !

« On ne sut jamais ce qu’elle avait voulu dire, sinon qu’elle avait une lune blanche au front et que, dans la bande, elle portait peut-être le nom de la lune. On lui coupa la tête et les pattes qui ont été vues longtemps clouées sur la porte du cimetière de Saint-Bault, et où jamais les lupins n’ont osé reparaître depuis. »

GEORGE SAND

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